Les Serpentinites, de l'Océan à la Subduction

La serpentinite est un constituant majeur de la lithosphère océanique (LO)  auquel s'intéressent de nombreux géologues de différentes spécialités depuis quelques années. Ce regain d'intérêt s'explique par l'évolution des méthodes analytiques et pétrographiques qui rendent possible l'étude détaillée de ces roches à la minéralogie relativement rébarbative, car « très » simple.

Puisque nos capacités d'analyse nous le permettent, étudier le processus de serpentinisation est important pour deux raisons fondamentales : tout d'abord car ces roches représentent un volume considérable de la partie supérieure de la lithosphère (océanique) ; d autre part pour leur rôle considérable sur les transferts de matière à travers la partie supérieure du globe, par interaction avec l'hydrosphère dans un premier temps, puis transfert vers le manteau lors de la subduction.

La serpentinite est extrêmement hydratée puisqu'elle contient jusqu'à 14% d'H2O alors qu'elle est le produit du métamorphisme d'une péridotite quasiment anhydre. Cet important transfert d'eau dans la transformation réversible péridotite = serpentinite joue un rôle considérable sur les transferts d'éléments variés et, entre autres les fluides tel que CH4/CO2, H2/H2O, H2S/SO4. Avec une telle quantité d'eau (et fluides) mise en jeu, le processus pétrologique de la serpentinisation est un processus métasomatique.

Pétrographie

L'observation macroscopique : La serpentinite est une roche très sombre, souvent noire à reflets verts plus ou moins marqués. A l'affleurement, elle présente souvent une patine brune, altération superficielle sur quelques millimètres d'épaisseur (photo de gauche ci-dessous). Mais c'est l'aspect « peau de serpent » très caractéristique qui lui a valu son nom, car la roche présente de nombreuses fractures lui donnant l'allure d'une peau de serpent. (photo de droite).

Patine brune caractéristique et "peau de serpent". La texture maillée matérialise la serpentinisation de l'ovine tandis que les plages centimétriques claires sont des bastites constituées de serpentine fibreuse qui remplacent les orthopyroxènes.

La serpentinisation est un processus généralement statique, qui ne s'accompagne pas nécessairement de déformation. Aussi, on reconnaît souvent les différentes lithologies du protolithe ultrabasique.

Sur la photo ci-dessous, on remarque deux niveaux clairs, amphibolitiques, (anciens niveaux de clinopyroxénites) dans une serpentinite noire à bastites claires. Sur la deuxième photo, une dunite serpentinisée passe de manière diffuse à la lherzolite serpentinisé. On comparera avec la dunite du Monte Maggiore.

Au nord du village de Centauri (Cap Corse), les serpentinites préservent les textures et lithologies du protolithe péridotitique : la roche préserve la texture de 2 lits de clinopyroxénites (photo de gauche) et d'une dunite dans la lherzolite ( photo de droite).

Au microscope : La serpentinite est constituée presque exclusivement de serpentine auquel peut s'ajouter de la magnétite, de la chlorite, de l'amphibole, de la brucite (Mg(OH) 2 ), etc. Selon le degré de serpentinisation, les minéraux primaires de la péridotite sont préservés en proportion variable.

La serpentine constitue un groupe de 3 minéraux de composition très proche et à la structure et aux propriétés physiques différentes ; il s'agit de la lizardite, de l'antigorite et du chrysotile.

La texture maillée est dessinée à l'échelle microscopique par de la magnétite (noire sur la photo en LPNA ci-dessous) :

Microphotographies (LPNA à gauche; LPA à droite) : des fractures soulignées par la magnétite noire dessinent la structure « maillée » de la lizardite qui remplace l'olivine. La plage centimétrique incolore en haut à gauche est une bastite, serpentine fibreuse qui remplace un cristal d'orthopyroxène de la péridotite. Sur la photo en LPA en bas à droite, 2 veines de chrysotile se distinguent de la lizardite par leur teinte jaune.

La texture maillée témoigne de la fracturation de la roche au cours du processus métamorphique. Celle-ci intervient à toutes échelles :

Les veines de serpentines dans une péridotite au Monte Maggiore montrent la chenalisation des fluides.

Mieux que toute autre roche, la serpentinite montre bien la relation qui existe entre fluides et « chenalisation » de ceux-ci et la recristallisation métamorphique.

Les serpentinites sont abondantes dans la lithosphère océanique puisque le manteau péridotitique est proche de l'hydrosphère ou même peut constituer le plancher océanique. De ce fait, les serpentinites sont aussi abondantes dans les ophiolites, comme celles du Chenaillet ou de Chamrousse, mais aussi, métamorphisées dans le Queyras et le massif du Viso.

Intrusion de gabbro (Gb) dans les serpentinites, elles-mêmes surmontées par les basaltes en coussins (Bc). Avant l'épanchement de ces basaltes, le manteau serpentinisé constitué le plancher océanique, directement en contact avec l'hydrosphère (Massif du Chenaillet.)

De l'océanisation à la subduction : La serpentinisation de la lithosphère océanique est principalement un processus de BP, par interaction avec l'hydrosphère au stade océanique. Cependant, le champ de stabilité de la serpentine est vaste vers les HP. Aussi la serpentine est stable lors de l'enfouissement de la LO dans la subduction. Toutefois, la lizardite formée au cours de l'océanisation à faibles P, est remplacée par l'antigorite, dans les conditions du faciès Schistes Bleus.

Cette microphotographie en LPA montre que la texture maillée composée de lizardite est traversée de veines d'antigorite formées dans les conditions du faciès Schistes Bleus, au tout début de la subduction. Monte Maggiore, extrémité NO du Cap Corse.

A plus grande profondeur (et température), dans les conditions du faciès Eclogite, la serpentine se déshydrate et se transforme à nouveau en olivine +/-Cpx et autres minéraux anhydres : c'est la déserpentinisation.

Les veines traversant les olivines de cette péridotite faiblement serpentinisée (photo de gauche) montrent les différentes étapes de la serpentinisation lors de l'océanisation, puis la subduction jusqu'à la « deserpentinisation » de la serpentinite.

Photo de gauche : Les olivines de cette péridotite partiellement serpentinisée du Massif de Lanzo (proche de Turin) sont traversées par des veines V1 de lizardite (légérement brune), témoignant de la serpentinisation océanique ; remarquez la magnétite au milieu de ces veines. Ces V1 et olivine sont coupées par des veines V2 d'antigorite (stade Schistes Bleus au début de la subduction). On remarque que la V2 de gauche est frangée d'un fin chapelet de minuscules grains d'olivine métamorphique, témoins de la déserpentinisation dans les conditions du facies Eclogite. Microphotographie en LPNA ; Debret et al, 2014, JMG"

Photo de droite : Eclogitisation d'une Serpentinite maillée à cœur d'olivine relictuelle. Sur cette microphotographie, les olivines de déserpentinisation forment un fin chapelet en lieu et place de la magnétite qui dessinait la texture maillée. L'olivine relictuelle est encore présente au centre des « mailles ».

Les serpentinites de la LO ont un rôle considérable sur les transferts de matière à l'intérieur du globe. En effet, une péridotite pratiquement anhydre (moins de 1% H2O) se transforme en une serpentinite avec jusqu'à 14% H2O par interaction avec l'hydrosphère dans un premier temps. Réciproquement, lors de la subduction, la déshydratation de la serpentinite (« déserpentinisation ») libère ces fluides qui sont transférés vers le manteau. Or, ces fluides qui quittent ou qui entrent dans les roches ne sont pas inertes. Ils interagissent avec elles et engendrent des transferts d' éléments qui sont sans doute considérables (qui contribuent aux réactions métamorphiques que l'on peut considérer comme métasomatiques !).

Pour en savoir plus, lire la Thèse de B. Debret. ou bien Debret et al, 2013-14 (A40-43)

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