L’eau, une matière extraordinaire !

L’eau est une matière extraordinaire : elle est indispensable à la formation des continents, ces radeaux de la lithosphère . Elle est à l’origine de la vie et elle reste indispensable à son maintien sur notre planète, en particulier grâce des propriétés physiques tout à fait exceptionnelles. L’eau est un des rares liquides qui se dilate en congelant : ainsi les océans polaires congèlent en surface, mais isolent des parties profondes qui restent liquides et " tempérées ", préservant la vie aquatique : imaginons ce qu’il se passerait si la glace était plus lourde que l’eau !


Lorsque l'eau joue l'équilibriste

Les propriétés thermodynamiques de l’eau en font un excellent régulateur thermique : la transformation réversible eau = vapeur consomme une grande quantité de chaleur grâce à une capacité calorifique et une chaleur latente de vaporisation élevée. Ainsi, un apport (ou perte) de chaleur à la surface du globe est largement absorbé par la conversion d’eau en vapeur (ou l’inverse) et limite la variation de température. D’une manière plus globale, cela signifie que l’équilibre hydrosphère – atmosphère régule la température à la surface du globe (et compense, mais en partie seulement, l'inconsistence humaine ...)

Mais je m’éloigne de mon propos ! Voyons plutôt …

Le rôle de l’eau dans le métamorphisme :

La phase "Eau", ou plus généralement la phase "Fluide", dans le métamorphisme, c’est l’arlésienne ! D’un point de vue, thermodynamique, c’est une " phase physiquement distincte " au même titre qu’un minéral. Mais elle est beaucoup plus difficile à localiser dans une lame mince ; l’analyse de sa composition nécessite une technologie particulière.

Inclusions fluides de CO2 sous forme à la fois liquide et gazeux, dans la cordiérite,. L’arrangement des inclusions miment d'anciennes fractures. Le petit cristal sphérique de zircon (Z : silicate de zirconium) mesure environ un dixième de mm. de dimension. Microphotographie en LPNA.

S’il est possible de faire une chronologie relative entre plusieurs minéraux dans une roche, montrer que ceux-ci sont " à l’équilibre ", définissant une paragenèse, il est plus difficile de faire la même chose avec des " inclusions fluides ".

Et pourtant, ces fluides, et tout particulièrement l’eau, jouent un rôle fondamental au cours du métamorphisme, parfois un peu déroutant. Voyons par exemple …

L’eau et la pente des réactions métamorphiques :

Nous avons discuté, à l'occasion de l'étude de la quartzite à coesite de Dora Maira, pourquoi les roches métamorphiques recristallisent-elles : La masse volumique (ou la densité) des roches augmente depuis la surface vers le centre du globe (à l'exception de la zone faible vitesse, sous la lithosphère). Cette augmentation de la densité implique que le volume des roches diminue avec la profondeur (= P augmente). Ce sont les recristallisations métamorphiques qui permettent cette augmentation de la densité avec la profondeur, en remplaçant les minéraux peu denses, de gros volumes, stables en surface par des minéraux plus denses, de petits volumes, en profondeur.

Des réactions du type : A +B=C+D permettent aux roches ce changement de volume en fonction de la profondeur (= pression) : le volume des phases produites est inférieur à celui des phases réactantes (V (C-D) <V (A-B) ; V est le volume). La variation de volume de la réaction est négative lorsque l'assemblage des minéraux A+ B est remplacé par assemblage C+D et s'accompagne d'une augmentation de la pression. (diagramme de gauche ci-dessous)

             

Ces 3 diagrammes montrent l'allure d'une réaction A+B=CD dans laquelle les phases produites C+D ont
-diagramme de gauche : un volume inférieur à celui des phases réactantes A+B
-diagramme du milieu : une entropie supérieure à celui des phases réactantes A+B
-
diagramme de droite : un volume inférieur et une entropie supérieure à celui des phases réactantes A+B.

Lorsqu'une roche de surface, froide, s'enfonce dans le globe chaud, un échange de chaleur DQ se fait entre cette roche qui se réchauffe et son environnement. Dans la roche, Q et T augmentent de DQ et DT et par voie de conséquence le rapport DQ/DT est positif. Ce rapport est appelé DS, variation d'entropie S. Il mesure la variation d'entropie DS entre l'entropie de la roche "chaude" et celle de la roche "froide". Si ce rapport est positif lorsque T augmente, cela signifie que l'entropie de la roche chaude est plus grande que l'entropie de la roche froide. Mais qu'est ce que l'entropie ? Il ne s'agit pas simplement d'un rapport mathématique, mais bien d'une caractéristique intrinsèque des minéraux. L'entropie est le nombre de façons dont les constituants atomiques et moléculaires peuvent se répartir dans un minéral (on dit encore que l'entropie mesure le désordre). Le nombre de combinaisons possibles dans un minéral n'est pas infini. En fait, l'entropie des minéraux varie peu. Ainsi, lorsqu'une roche est portée à hautes températures, son entropie augmente. L'entropie des minéraux qui la constituent variant peu, les minéraux de basses températures sont remplacés par des minéraux de hautes températures à l'entropie élevée.

Ces transformations se font au cours de réactions inter-minérales telles que : A +B=C+D avec S (C-D)>S (A -B). La variation d'entropie de la réaction est positive lorsque l'assemblage de minéraux C-D remplace l'assemblage A- B et s'accompagne d'une augmentation de la T. (diagramme du milieu ci-dessus)

Si d’une manière plus générale, nous prenons en considération les 2 paramètres P et T (V et S), la réaction : A +B=C+D doit avoir un DV négatif et un DS positif. En conséquence, sa pente est négative (diagramme de droite ci-dessus).
En effet, nous avons vu, à la page " thermobarométrie ", que l’équation de la réaction dans l’espace P-T est : P = (DS/DV)T - DH/DV ; DS/DV est la pente de cette réaction.

Or, nous avons déjà noté (voir par ex. "le Trajet PTt") que la majorité des réactions du métamorphisme régional sont des réactions de déshydratation avec une pente positive. Ces réactions sont du type : H = A + VH2OH est un assemblage de minéraux hydratés, A un assemblage de minéraux anhydres (ou de mnx moins hydratés que H) et VH2O la phase vapeur d’eau. La pente d’une telle réaction est positive et augmente avec la P ; elle peut s’inverser et devenir négative à HP, en général dans les profondeurs mantelliques. C’est le cas de la réaction hornblende = Opx + Cpx + VH2O qui s’inverse aux environs de 2 GPa. De fait, la pente de la réaction est largement contrôlée par les propriétés thermodynamiques de la phase vapeur, au moins jusqu’aux profondeurs mantelliques : celle-ci a des V (à BP) et S élevées. De même, la variation de pente en fonction de la P est liée à l’importante compressibilité de la phase VH2O.

La pente des réactions de déshydratation est largement contrôlée par les propriétés thermodynamiques de la phase VH2O

Si la pente de la réaction est positive, cela signifie que l’ensemble des phases produites (A+ VH2O) ont un plus gros volume que l’ensemble de phases réactantes H. On écrit V(A+ VH2O) >V(H). Ainsi, lorsque la profondeur (=P) augmente, le volume des produits de la réaction augmente : ceci est contradictoire, puisque l’augmentation de la profondeur doit s’accompagner d’une augmentation de la densité (=diminution de volume). La contradiction est levée si cette vapeur libérée par la roche, de faible densité (=gros volume), remonte vers la surface. Dans ce cas, V(A) <V(H).

L’eau et la rétromorphose :

Ce type de réaction a des conséquences importantes pour la préservation des paragenèses du métamorphisme. En effet, au cours de l’évolution rétrograde, la roche préserve sa paragenèse de HT, car la réaction A+ VH2O =H ne peut pas se réaliser, puisque la phase VH2O a quitté la roche. Seul, un apport d’eau permettrait la rétromorphose. Mais même dans ce cas, cette rétromorphose a toutes les chances d’être limitée. En effet, l'infiltration des fluides se fait à la faveur de fractures (fissures). Cependant, nous avons noté que le volume des phases hydratées (de BT) est plus élevé que celui des phases anhydres (de HT) : V(H) >V(A). En conséquence, lorsque la réaction se réalise par infiltration d’eau, la fissure est rapidement bouchée. Ceci est bien illustré par la photo ci-dessous :


Cet orthogneiss des racines du Mont Rose, dans le Val de Domodosolla dans les Alpes Italiennes préserve, à l'état métastable, les conditions du faciès amphibolite, sauf sur une bande étroite horizontale plus claire (au milieu de la photo) où il est ré-équilibré dans les conditions du faciès Schistes Verts.

La paragenèse de faciès amphibolite de l'orthogneiss ci-dessus est à Q, Feldspath et biotite ; dans la bande étroite médiane, la biotite est remplacée par de la chlorite, à la faveur d'une réaction (simplifiée) Biot + VH2O= Chl. Cette transformation correspond au passage dans le faciès Schistes Verts ; elle se réalise lors du refroidissement à la faveur de la circulation d'eau dans de petites fentes noires (remplies de Chl) centimétriques que l'on observe au milieu de cette zone claire. L'eau infiltre l'orthogneiss par les plans de foliation, mais l'augmentation de volume qu'engendre la réaction colmate ces chenaux d'infiltration.

Influence des fluides sur le champ de stabilité des réactions :

L’eau n’est pas le seul constituant de la phase vapeur dans les roches ; plusieurs espèces chimiques de fluides peuvent être présents : H2O, CO2, CH4, N2, … Les deux premières sont les plus importantes en volume. On définit une pression des fluides (PFl) qui est, en règle générale, égale à la pression lithostatique (PL). Elle est égale à la somme des pressions partielles telle que PFl = PH2O +PCO2 +PCH4 +PN2 +...= PL

Pour estimer l’influence des fluides sur la stabilité des réactions, nous simplifions en considérant une phase fluide constituée du mélange H20 et CO2. On peut exprimer la proportion respective de ces 2 constituants dans la phase vapeur par le rapport XH2O (fraction molaire) qui égale H2O/H2O + CO2. Dans un diagramme T versus XH2O (pour une pression fixée), des réactions font intervenir différents types de phases minéralogiques : H est un minéral hydraté (ou un ensemble de minéraux hydratés), cad contenant des radicaux OH- dans sa structure ; C est carbonate (ou un ensemble de carbonates), cad contenant des radicaux CO3=. A et B sont des phases (ou un ensemble de phases) anhydres (ou moins hydratés ou moins carbonées que H et C).

Dans un diagramme T - XH2O ( à P=Cte), le comportement des réactions est dépendant de la nature du (ou des) fluide(s) qui intervien(nen)t.

La réaction A = B tel que la transformation Ky = Sill ne fait pas intervenir de phase Vapeur : la température de cette réaction n’est pas influencée par la composition de la phase vapeur.

La réaction H = A + VH2O est une réaction de déshydratation ; le champ de stabilité de la phase hydratée H est fonction de la composition chimique de la phase vapeur : lorsque la fraction molaire XH2O diminue, la réaction se fait à plus basse température ; en conséquence, la stabilité de H est réduite vers les basses températures.

La réaction C = A + VCO2 est une réaction de décarbonatation ; le champ de stabilité du carbonate C est réduit vers les basses températures lorsque la fraction molaire XH2O augmente.

Pour la réaction H+A+VCO2 = C+B+VH2O, le champ de stabilité du carbonate C est réduit vers les hautes températures tandis que celui du minéral hydraté augmente lorsque la fraction molaire XH2O augmente.

La réaction H+C = A+H20+CO2 est constituée à la fois de minéraux hydratés et de carbonates. C’est une réaction à la fois de déshydratation et de décarbonatation ; on dit, d’une manière plus générale, une réaction de dévolatilisation. Le champ de stabilité de H et C est maximum pour une valeur intermédiaire de XH2O. Il diminue pour n’importe quelle autre valeur. Cette valeur de XH2O est fonction du coefficient stochiométrique des deux fluides CO2 et H2O ; sur la figure, ces coefficients sont de 1 pour les deux fluides et le sommet de la courbe correspond à la valeur XH2O=1/2.

Revenons sur un classique diagramme P-T (ci-dessous) pour bien visualiser l’influence de la nature de la phase fluide (V) sur les conditions de stabilité des réactions. La réaction de déshydratation Musc + Q = SiAl + FK + VH2O est du type H = A + V ; XH2O est la fraction molaire d’un mélange H2O + CO2. On comprend que lorsque la composition de la phase Vapeur n’est pas connu, l’évaluation des conditions P-T à l’aide de grilles pétrogénétiques avec PH2O = PL peut engendrer des erreurs qui peuventt être significative.

Variation du champ de stabilité de la réaction Musc + Q=Fk+SiAl+VH2O en fonction de la fraction molaire XH2O dans un fluide composé d'un mélange H2O+CO2. SiAl = silciate d'alumine ; K, S, A : disthène, sillimanite et andalousite.

Infiltration de la phase Vapeur ou Système fermé aux fluides extérieurs :

Une phase Vapeur est souvent présente dans les roches. Mais deux situations thermodynamiques contrastées peuvent existées :

- Cette phase Vapeur est introduite par infiltration dans la roche et sa composition dépend d'un réservoir extérieur (dont on suppose que la composition ne change pas) : cette composition reste constante au cours de l'évolution métamorphique de la roche et n'est pas influencée par les réactions qui interviennent dans celle-ci. Ceci est illustré par la ligne bleu ciel sur le diagramme T-XH2O ci-dessous. Le "système" (=la roche) est ouvert à la phase fluide : on dit qu'il est "tamponné" par un réservoir externe.

Dans le diagramme T - XH2O ( à P=Cte), la composition de la phase V est "tamponnée" par les réactions dans un système fermé (ligne bleu) ou par un réservoir extérieur (ligne bleu ciel)

- La phase Vapeur dans la roche ne communique pas avec un réservoir extérieur : le "système" est fermé. Au cours de l'évolution métamorphique, la composition de la phase V est modifiée par les réactions qui intervienent, comme l'indique la ligne brisée bleu sur la figure ci-dessus. La Température augmentant, la première réaction est atteinte. Celle-ci consomme du CO2 et libère H2O, modifiant le rapport XH2O. La réaction se réalise à T et XH2O croissant. Lorsqu'une des phases solides (des assemblages H ou A) est épuisée, la réaction s'interrompt : la T augmente à XH2O constant jusqu'à la prochaine réaction. Le "système est "tamponné" par les réactions (="tampon interne").

Influence de l’eau sur la transition faciès amphibolite – faciès granulite et anatexie :

Faciès amphibolite – faciès granulite –anatexie et l’eau :

Nous avons remarqué que le faciès granulite se situe au-delà de la courbe de fusion hydratée qui matérialise le début de l’anatexie. Nous avons aussi noté la succession du faciès amphibolite et de l’anatexie et l’absence du faciès granulite dans les séries métamorphiques telles que, par exemple, les séries de gradient de moyennes pressions.

Il faut se rappeler que le faciès granulite se caractérise par une majorité de minéraux anhydres et des conditions anhydres. Celle-ci sont obtenues, soit par l’absence de phase fluide (V), soit en diluant l’eau avec un autre fluide : en général, il s’agit de dioxyde de carbone (CO2). Dans le métamorphisme régional dans la croûte continentale, on admet que les conditions hydratées dominent, c'est-à-dire que la vapeur d’eau est la principale phase fluide : on écrit PH20 = PL. C’est qui est indiqué sur la figure ci-dessous.

Cette figure matérialise les types de réactions qui limitent le domaine du métamorphisme de celui de l’anatexie. Les phases A, H et M sont respectivement les phases hydratées, anhydres et magmas ; notons que ces phases ne sont pas nécessairement identiques dans les différentes réactions (voir ce type de diagramme appliquée aux charnockites). Nous reconnaissons une réaction métamorphique (=réaction subsolidus) de déshydratation H = A + V ; les réactions A+V=M et H+V=M sont des réactions de fusion eutectique tandis que la réaction H=A+M est une réaction de fusion péritectique.

Sur cette première figure en conditions hydratées (PH20 = PL), le domaine du faciès granulite (G) avec des minéraux anhydres est limité aux très faibles pressions (P<0.1GPa) : il s’agit du faciès Cornéennes du métamorphisme de contact.

Si la vapeur d’eau est diluée avec du dioxyde de carbone, les réactions se déplacent dans l’espace PT de telle sorte que les champs de stabilité des phases les plus hydratées vont diminuer, c'est-à-dire dans le sens des flèches bleues. Il s’agit de H dans la réaction H = A + V et M dans les réactions de fusion eutectique : A+V=M et H+V=M.

Dans la réaction de fusion péritectique, H=A+M, il n’y a pas de libération de Vapeur, ce qui laisse supposer un équilibre entre les deux phases hydratées H et M : cette réaction reste fixe et indépendante de la fraction molaire XH2O. (Ce type de réaction est appelé réaction de fusion vapeur absente ou encore, ce qui ne me parait pas très explicite, de fusion-déshydratation.)

En conséquence, le point invariant (et les trois réactions " glissantes ") glisse le long de la réaction de fusion péritectique (flèche rouge) . Le champ du faciès granulite s’ouvre entre celui du faciès amphibolite et le domaine de l’anatexie.

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