QUE DATE-T-ON D'UN EVENEMENT METAMORPHIQUE ?
En introduction à cette page, on peut se demander quand cristallise(nt) tel(s) ou tel(s) minéral(ux) du métamorphisme ? Prenons l'exemple de ce micaschiste ...
... qui montre un bel exemple de relations cristallisation– déformation que nous avons détaillé à la page « Relation Déformation – Recristallisation .. ». Deux foliations successives sont marquées par la chlorite et la muscovite : Les deux phyllosilicates sont en équilibre pendant la durée des deux déformations et ont cristallisé - recristallisé (portion de trajet ligne pleine verte) et/ou sont préservés métastables ou ré-équilibrés chimiquement (ligne pointillée verte) pendant tout ce temps. La biotite sécante sur la S1 et recoupée par la S2 a cru dans un régime statique, pendant une période d'accalmie de la déformation, entre les deux phases de déformation (ligne brune). Elle indique les conditions au pic du métamorphisme avec la paragenèse : Qtz – Chl – Ms – Biot. Si la biotite n'a cristallisé qu'au pic thermique du métamorphisme, Chl et Ms ont, elles, cristallisé pendant l'intervalle de temps depuis S1jusqu'à S2.
Un raisonnement similaire peut être appliqué aux minéraux chronomètres. Intéressons-nous à la série hercynienne du Haut Allier.
La série métamorphique du Haut Allier est un site majeur pour la compréhension de l'évolution géodynamique de la chaine hercynienne. Un chevauchement majeur exhume des unités de hautes pressions (HP), composées pour partie de lithosphère océanique. (voir ici pour plus de détails)
L'unité exhumée, appelée Unité Supérieure (USup), est constituée de roches basiques de la lithosphère équilibrée dans les conditions du faciès amphibolite d'un gradient de MP et de reliques éclogitiques indiquant des pressions d'environ 2 GPa. Ces métabasites sont surmontées d'anatexites à reliques granulitiques de composition pélitiques. Ces reliques sont supposées avoir été enfouies aussi profondément que les éclogites. Cependant leurs paragenèses actuelles témoignent d'un rééquilibrage à des pressions plus modérées, de l'ordre de 1 GPa. Cette unité supérieure chevauche l'unité dite inférieure.
L'unité chevauchée, appelée Unité Inférieure (UInf), est constituée de gneiss à sillimanite équilibrés dans les conditions du faciès amphibolite d'un gradient de MP.
Les monazites de ces roches de part et d'autre du chevauchement ont été datées par la méthode U-Th-Pb en utilisant un système d'ablation laser couplé à un spectromètre de masse à torche plasma (LA-ICP-MS) par Julie Noël * durant son mémoire de M2R au laboratoire Magmas et Volcans de Clermont-Ferrand en 2015. Ce système d'analyse permet de réaliser des analyses ponctuelles in-situ, directement en lame mince. Les résultats sont portés sur les histogrammes ci-joints. Ils concernent, dans l'USup, les anatexites (histogramme du milieu) et les reliques pélitiques granulitiques (histogramme du haut) et dans l'UInf, les gneiss à sillimanite (histogramme du bas). Les âges mesurées dans les reliques granulitiques s'échelonnent entre 310 et 360 Ma et quelques mesures éparses plus anciennes (jusqu'à 407 Ma). La majorité des âges sont entre 335-340 Ma. Les mesures sont très similaires dans les anatexites de l'USup, s'échelonnant entre 315 et 366 Ma avec un « pic » autour de 334 Ma. Les âges obtenues des gneiss de l'UInf ne sont pas significativement différents des précédents, s'étalant entre 314 et 354 Ma ; toutefois, le « pic » des âges est légèrement plus jeune, autour de 328 Ma. |
Quelles significations doit-on donner à ces chiffres ?
Pas de trace de l'épisode précoce de HP : La première remarque est que les reliques granulitiques ne préservent pas l'âge du métamorphisme précoce de HP. La majorité des âges sont identiques de part et d'autre du chevauchement : ceux-ci datent le métamorphisme de MP, contemporain du chevauchement intra-continental. Seuls quelques âges anciens sont des reliques mal préservées de l'épisode de HP. Les monazites en inclusions dans le grenat indiquent des âges autour de 340 Ma, témoignant que ce minéral a recristallisé depuis les conditions de HP. En conséquence, si la paragenèse des ces métapélites a recristallisé au cours de l'exhumation, il en est de même pour les cristaux de monazites.
Que signifie l'étalement des âges ? Dans chaque unité, les âges mesurés s'étalent jusqu'à 50 Ma. Ce large intervalle doit-il être attribué aux marges d'erreur des analyses ? à un rééquilibrage des minéraux ? des âges mixtes ? Dans ce cas, l'âge significatif de l'événement est-il mieux indiqué par la moyenne ?
Au contraire, cet étalement pourrait être significatif (aux marges d'erreur près) et indiquerait une cristallisation en continu des cristaux de monazites lors d'un événement thermique continu dans le temps le long d'un même trajet PTt. Arguments favorables pour cette hypothèse : sur la figure ci-dessus, les deux cristaux observés au MEB montrent des zonations chimiques (nuances de gris) reliées à des âges significativement différents. Ces 2 cristaux semblent avoir cristallisé progressivement au cours du temps et,ainsi, enregistrent une portion du trajet PTt..
La majorité des âges obtenus sur un échantillon pourrait représenter le moment le plus favorable à la (re-)cristallisation du minéral chronomètre : un épisode de déformation ? le pic thermique du métamorphisme de MP ?
Anatexie et pic thermique de l'unité chevauchante lors de son exhumation à 340-335Ma ; Pic thermique de l'unité chevauchée à 330-325 Ma.
Le trajet ultérieur, enregistré jusqu'à 320-310 Ma par les monazites, est commun aux 2 unités
Le « pic » des âges est diachrone de part et d'autre du chevauchement
Dans ce cas, pourquoi la majorité des âges mesurés est décalée dans le temps de part et d'autre du chevauchement ? On peut proposer, à titre d'hypothèse, que le pic du métamorphisme est décalé dans le temps entre l'unité chaude et profonde qui est exhumée et l'unité chevauchée qui, dans le même temps, subit un métamorphisme prograde.
Anatexie et pic thermique de l'unité chevauchante lors de son exhumation |
Pic thermique de l'unité chevauchée |
Toutes les idées développées pendant ce travail de Julie Noël demandent à être confortées grâce à des données complémentaires.
* Noël Julie (2015) - Etude pétrochronologique des monazites des gneiss de la série polymétamorphique hercynienne du Haut Allier (Massif Central Français). Mémoire M2R, Clermont Fd. Encadré par Valérie Bosse et moi-même.
Retour au Cours de Métamorphisme, de Pétrologie Endogène, à la Photothèque ou bien à la première page ?